En avril 2017, le géant de l’internet chinois Alibaba annonçait que l’esport serait une discipline officielle des Jeux Asiatiques de 2022. Le Comité olympique asiatique organisant l’événement souhaiterait même faire un essai dès l’an prochain en intégrant certains MOBA et autres jeux de sport à l’édition 2018.
De cette nouvelle a naturellement découlé une interrogation au sein de la communauté : “Quand pourra-t-on voir de l’esport aux Jeux Olympiques ?”. En pleine course pour l’attribution des jeux de 2024, cette question prenait tout son sens au sein d’un Dojo Esport organisé à l’Hôtel de ville de Paris en partenariat avec la municipalité. C’est à partir de ce point de départ que les 16 participants à ce workshop ont entrepris leur discussion. Parmi eux, on retrouvait des organisateurs d’événement, des élus mais aussi des représentants d’associations, de clubs et de médias.
Sommaire
Un peu d’histoire
Rappelons tout d’abord que plusieurs initiatives ont essayé de transférer l’esprit olympique à l’esport, à commencer par les World Cyber Games (WCG). Créée en 2000 sous l’impulsion de Samsung, cette compétition s’inspirait clairement des Jeux en essayant de s’ouvrir à un maximum de pays. Chaque nation ne pouvait inscrire que trois joueurs pour les disciplines individuelles et les équipes devaient être exclusivement composées de compatriotes. De plus, un village était mis à la disposition des délégations des différents pays.
Même si les WCG ont cessé d’exister en 2014, les World Electronic Sports Games (initiés en 2016) ont repris le flambeau et témoignent aujourd’hui d’un esprit similaire : représenter son pays.
Quelle légitimité ?
D’emblée, la question de la légitimité est posée par Koen Schobbers, animateur du workshop. L’inclusion de l’esport aux Jeux asiatiques est en effet dûe à un partenariat entre Alibaba et le Comité Olympique Asiatique. Cependant, le CIO, (le Comité international Olympique) n’a rien à voir avec cette décision et le chemin sera donc encore long avant qu’une discipline esport ne devienne réellement olympique.
Il est également vital que les joueurs bénéficient de véritables statuts d’athlètes. Koen Schobbers évoque son rôle actif au sein de la “Commission des athlètes” de l’IeSF. Récemment, France eSports a également élu son collège des joueurs. Toutes ces organisations cherchent à protéger les compétiteurs et leur éviter une situation précaire. Cette problématique a notamment été abordée dans un autre workshop.
Quels jeux ?
Se pose ensuite la question des jeux les plus à même de figurer dans une sélection olympique. Les titres de simulation sportive comme FIFA ou NBA2K font l’unanimité dans l’assistance. Leur facilité d’accès et leur caractère fédérateur pour de nombreux pays en font un choix logique. Mehdi Sakaly, président de la World Gaming Federation, abonde en ce sens et ajoute que ces jeux rencontrent un franc succès en Afrique. Là-bas, la WGF a déjà organisé plusieurs événements.
Koen Schobbers partage cette opinion mais n’exclut pas une évolution potentielle. En effet, les jeux de sport pourraient constituer une première étape dans la vulgarisation du jeu vidéo compétitif. Ensuite, certains jeux au caractère hybride (comme Rocket League, qui allie football et course de voitures) peuvent servir de transition. À terme, l’objectif est d’habituer le grand public à des jeux plus complexes à appréhender, comme League of Legends.
En revanche, les éditeurs de jeux n’émettent pas pour l’instant une volonté de figurer aux JO. Pour Riot Games par exemple, ce n’est aucunement un objectif à court terme, ni même une finalité.
Sport et esport font-ils bons ménage ?
Le débat est rapidement recentré sur l’olympisme. Jonas Ferry, Brand Product Manager pour Scuf, jette un pavé dans la mare : y-a-t-il réellement besoin d’inclure l’esport aux Jeux olympiques ? Pourquoi cette volonté d’associer sport et esport à tout prix ?
Nicolas Besombes, docteur en sciences du sport, estime que ce rapprochement est nécessaire et bénéfique. C’est en “empruntant à la forme sportive certaines de ses caractéristiques et de ses codes que le sport électronique espère pouvoir acquérir une reconnaissance sociale”.
Cet avis n’est cependant pas partagé par toute l’assistance. Pour plusieurs intervenants, c’est le sport qui a besoin de l’esport, et non l’inverse. L’esport permet en effet de séduire une audience jeune qui a tendance à se désintéresser du sport traditionnel, surtout dans sa pratique.
Pour Benoît Pagotto, Marketing Manager chez Fnatic, le rôle de la réalité augmentée et virtuelle dans les prochaines années sera capitale. Dans un futur proche, une discipline hybride située entre sport et esport pourrait même prendre forme. Si la VR fait douter plus d’un intervenant, la réalité augmentée semble elle un apport beaucoup plus plausible et bénéfique au sport comme à l’esport.
L’œil de Smartcast
L’esport aux Jeux olympiques ? Il y a quinze ans, peu d’acteurs du milieu auraient fait un tel pari. Et pourtant, au vu de l’essor que prend la discipline, le rêve pourrait devenir réalité. Les acteurs sportifs majeurs et les institutions s’intéressent à l’esport et y voient un moyen idéal de fidéliser une audience jeune.
Néanmoins, il est encore difficile d’estimer un laps de temps réaliste à la réalisation d’un tel projet. De plus, plusieurs intervenants considèrent que l’esport n’a pas sa place au sein du cadre olympique actuel. Les initiatives comme les WCG ou les WESG sont excellentes et font sens, car elles permettent la diffusion des valeurs propres a l’olympisme (respect, dépassement de soi, ouverture au monde…).
L’enjeu n’est donc peut-être pas d’inclure l’esport aux Jeux actuels, mais plutôt de créer les Jeux olympiques de l’esport. Et même si certains ont commencé à paver la voie, le projet reste vaste !