Le format de la rubrique “Perspective” prend un nouveau virage en collaborant directement avec les acteurs de l’esport. Les éditos à venir dans cette rubrique se feront sous la forme d’une prise de parole d’experts. Incisif, critique, et analytique sont les mots d’ordres !
Cette semaine nous prêtons notre plume à Nicolas Besombes, Docteur en Sciences du Sport, qui applique les outils méthodologiques de la sociologie du sport pour analyser le phénomène esportif. Il a notamment étudié le domaine du Versus Fighting en profondeur et s’appuie entre autres sur cet univers pour traiter la question de l’organisation des communautés pour porter un jeu.
Nicolas Besombes prend la parole
« Les joueurs se sont depuis toujours regroupés de manière collective sous forme de « clans », de « guildes », de « teams », ou de « communautés ». Ces dernières désignent alors tout autant les pratiquants d’un style de jeu, tels que les FPS, les MOBA ou les jeux de combat, que les amateurs d’une licence en particulier, comme Counter–Strike, LoL ou Street Fighter.
L’e-sport est historiquement et intrinsèquement lié aux communautés de joueurs. Dès les premières traces de rencontres compétitives, les Intergalactic SpaceWar Olympics de 1972, une vingtaine d’étudiants-chercheurs se réunissent sous l’impulsion de l’un d’entre eux pour s’affronter sur le jeu vidéo auquel ils ont contribué à améliorer les différentes versions du code en open-source. Dans les années 1990, ce sont les joueurs de Doom puis Quake aux États-Unis et de Warcraft puis Starcraft en Corée du Sud qui permettent l’émergence d’une première scène e-sportive. Pourtant, aucun de ces jeux n’a été conçu par les développeurs ni diffusé par les éditeurs dans une optique de pratique compétitive. En 2013, la communauté mondiale de Super Smash Bros Melee se mobilise et récolte près de 95 000 dollars de dons pour voir son jeu faire partie de l’Evolution Championship Series (EVO), offrant ainsi une légitimité internationale à la licence de Nintendo dans l’écosystème du Versus Fighting.
Le succès d’un titre compétitif dépend de nombreux facteurs, notamment de l’investissement de l’éditeur dans la structuration et le financement des championnats. Pour autant, l’adhésion de la communauté des joueurs, à la fois professionnels mais principalement casual, est cruciale.
Ces passionnés participent en effet directement au développement du jeu en faisant remonter leur expérience afin d’améliorer le gameplay et l’équilibrage, tandis que les streamers et casters, en (re)diffusant leurs parties sur les plateformes spécialisées, contribuent à la médiatisation du jeu auprès d’autres consommateurs. Les communautés participent également indirectement à la promotion du jeu par l’intermédiaire des forums spécialisés et des réseaux sociaux. Les joueurs sont également les premiers soutiens financiers via l’achat d’objets ou de skins dans le jeu, ou grâce aux campagnes de crowdfunding qui permettent de soutenir un événement compétitif comme c’est le cas pour The International de DotA 2. En 2016, cette communauté a ainsi dépensé plus de 76 millions de dollars, dont 25% du montant a servi à augmenter le cash prize du tournoi, en faisant le tournoi aux gains financiers les plus élevés de l’histoire.
Ces différents points soulignent ainsi la nécessité pour les éditeurs de rester constamment à l’écoute de leurs communautés et de prendre en compte leurs attentes. Dans le cas contraire, ils s’exposent à ce que ces dernières délaissent leur jeu et se désintéressent de la scène compétitive associée comme cela semble être aujourd’hui le cas pour Blizzard avec Starcraft II. En ce sens, l’année 2017 va s’avérer déterminante pour la pérennisation des scènes Overwatch, H1Z1 ou Rainbow Six, tandis que la structuration des compétitions de jeux mobiles comme Clash Royale ou Vainglory devra être le support de leurs communautés respectives. »
Crédit photo bannière : © Robert Paul – Spectateurs à Red Bull Battle Grounds