L’année dernière nous vous annoncions l’arrivée du sport électronique à la télévision et l’avènement des droits de diffusion des compétitions. Plus qu’une expansion naturelle vers de nouveaux canaux de diffusion, nous assistons à une véritable conquête de l’ e-sport par les diffuseurs traditionnels.
Actuellement, à notre connaissance, il y aurait plus de 19 chaînes de télévision dans le monde entier qui seraient en train de se positionner vis-à-vis de l’e-sport. On parle aussi bien d’acteurs historiques comme l’OGN en Corée du Sud que de groupes arrivés récemment mais tout aussi puissant comme MTG, ESPN ou TBS. La France est un cas particulier car aujourd’hui c’est près d’une dizaine de chaînes (voire de groupe de chaînes) qui cherche à occuper le terrain. TF1, France Télévision, Canal+, M6, l’Équipe21, MCS, NoLife, Game One, tous se lancent dans la bataille. SmartCast réalise un état des lieux concernant la scène française.
Dans l’hexagone, il y a ceux qui s’intéressent au phénomène et réalisent des expériences. Au mois de mars, TF1 retransmettait les finales de la FIWC (NDLR : Fifa Interactive World Cup) sur son site internet MYTF1. Depuis, le mouvement s’accélère, le 1er juin, le groupe dévoilait sa nouvelle stratégie « e-sport » devant une assemblée de professionnels du numérique et du marketing. On y apprend que la filiale du groupe TF1 Publicité s’est associée avec Bang Bang Management et Glory4Gamers. Ces trois entités réfléchiraient à la création d’un événement d’ampleur pour 2017. « Nous voulons organiser un événement très grand public, avec un marketing très agressif pour démocratiser le genre », explique Yann Genest, directeur de TF1 Musique et TF1 Spectacle dans la revue Mind. Ce partenariat a également donné naissance à une autre expérience du groupe réalisée le dimanche 5 juin : la Hearthstone Xtra Cup, un tournoi où les finales étaient diffusées en direct sur le site internet de la chaîne.
Le Groupe TF1 part lui aussi à l’assaut de l’énorme marché du e-sport #CampusTF1 pic.twitter.com/nrdugRHb3J
— Michel Martins (@miraelmartins) 1 juin 2016
Hasard du calendrier ou non, c’est ce même jour que se déroulait la finale du EASport FC, un tournoi de FIFA 16 diffusé sur Canal+. Le groupe Vivendi (Canal+, Dailymotion) s’intéresse de plus en plus à l’e-sport. Les phases finales du tournoi se déroulaient dans les studios de la chaîne. Depuis quelques mois, Canal+ sponsorise l’équipe des Vitality et affiche son logo sur les maillots des joueurs. Un contrat de sponsoring qui serait évalué à 100 000€ par an. Mais ce n’est pas tout, en plus d’envoyer régulièrement ses équipes tourner des images dans les événements importants, la direction de Canal+ rencontre et auditionne des professionnels du secteur. C’est Diego Bunuel, directeur des documentaires chez Canal+ qui se charge des entretiens. Selon nos informations, si le réseau s’active, la chaîne pourrait programmer des émissions consacrées au sport électronique dès la rentrée.
Set-up exceptionnel pour cette finale #EASFC16 ! pic.twitter.com/KxObar9Fid
— JF Royer (@JFR91) 4 juin 2016
@lolesports #berlin petite visite avec @Team_Vitality des studios @riotgames pic.twitter.com/TUeEJrPKts
— Diego L. Buñuel (@TheDiegoBunuel) 27 mai 2016
De son côté M6 a lancé un laboratoire sur la toile avec sa chaîne YouTube NoPainNoGame. Le concept : des joueurs professionnels français qui réalisent des tutoriels et donnent des conseils en vidéo. La chaîne vient de dépasser les 100 000 abonnés sur YouTube, un bon indicateur de son succès auprès de la communauté. La chaîne chercherait depuis plus d’un an à se positionner pour la diffusion d’un événement e-sport majeur.
D’autres ont déjà franchis le pas comme l’Équipe21 qui a diffusé son propre championnat. Depuis le 22 janvier, l’E-Football League était diffusée tous les vendredis soir en prime-time. Produit par la société Media365 de Bertrand Amar, la finale s’est jouée le vendredi 3 juin. Si l’expérience a été menée jusqu’à son terme, difficile de savoir si cette saison a été un succès ou un échec. La chaîne n’a communiqué les audiences que pour la première diffusion du championnat : une moyenne de 120 000 téléspectateurs. Pourtant l’Équipe21 se félicite d’un record historique avec 1% de part d’audience au mois de mai, mais l’E-Football League ne figure pas comme l’un de ses temps forts.
Plus récemment, MCS Extrême (bientôt SFR Sport) a fait l’acquisition des droits de diffusion de l’E-League, une énorme compétition américaine de Counter Strike. La chaîne qui se consacre d’habitude aux sports extrêmes sera le diffuseur exclusif français pour les play-offs et elle devra faire face à de nombreux défis. Il faudra convaincre sa propre audience, séduire les fans qui suivent les compétitions tout en composant avec un direct diffusé à heure américaine (21h – UTC−4 soit 3h du matin heure française.) À moins de ruses et d’une véritable plus-value, il est peu probable que la communauté suive le vendredi soir la retransmission du direct américain.
D’autres chaînes comme Game One et Nolife auraient pu naturellement se positionner sur ce genre de contenu. Mais quand l’une des deux chaînes se bat pour sa survie, l’autre doit répondre aux exigences d’un géant de la télévision. Avec peu de budget, et peu de marge de manœuvre, le challenge est plus difficile à relever. Aujourd’hui les deux entités s’ouvrent et consacrent un peu plus de temps d’antenne à des programmes e-sport. Pour sa saison 2014-2015, Game One diffuse Game One E-sport une émission hebdomadaire de 26 minutes qui dans chaque épisode propose un portrait de champion (une émission réalisée par JK Groupe, propriétaire du site smartcast.ninja). De l’autre côté, c’est avec son émission Skill que Nolife parle du sport électronique, une émission bihebdomadaire de 30 minutes, avec des news, des reportages et des invités.
E-sport à la TV – Comment expliquer cet attrait soudain ?
Pendant très longtemps, le sport électronique a cherché sa reconnaissance à travers la diffusion télévisée. Aux États-Unis, plusieurs essais ont été tentés ! Qui se souvient de la finale de la CPL World Tour sur Painkillier en 2005, des World Series of Video Games en 2006 ou de l’excellente production des Championship Gaming Source sur Counter Strike Source en 2007 ? Mais avec une audience absente au rendez-vous et devant la difficulté de trouver des sources de revenus suffisantes, toutes ces compétitions ont fini par disparaître. Alors malgré ces premiers échecs, pourquoi la télévision souhaite autant s’emparer du phénomène ? Ce risque est-il encore présent aujourd’hui ?
Dans le monde des médias, le sport est le seul vrai vecteur stable d’audience. Avec l’explosion de la VOD, les spectateurs consomment de moins en moins de direct, sauf pour le sport. Aujourd’hui, il existe une énorme inflation des droits sportifs à la télévision. Une inflation qui s’explique par une concurrence acharnée : en seulement 5 ans, les prix ont considérablement augmenté en Premier League, ils ont triplé pour le championnat français du Top14.
Comme le sport, le sport électronique est un programme qui fédère les communautés et qui reste bon marché comparé au sport traditionnel. En plein essor, les prix pour les droits de diffusion d’une compétition de jeu vidéo restent encore très éloignés des chiffres que connaît le sport. Actuellement les prix peuvent aller de plusieurs milliers à une centaine de milliers d’euros. En misant sur l’e-sport les chaînes espèrent capitaliser sur les centres d’intérêts de la jeunesse. Ces groupes souhaitent devenir plus parlants pour la tranche des 12-30 ans qui regardent de moins en moins le petit écran et donner un deuxième souffle à leur transition digitale. C’est aussi évidemment une manière d’ouvrir leur régie publicitaire à ces géants qui ont besoin de vendre comme Activision Blizzard, Valve ou Electronic Arts. Après s’être fait la guerre pendant des années, le monde de la télévision ouvre enfin ses portes à l’industrie du jeu vidéo. Les deux secteurs ont compris qu’ils avaient des intérêts en commun et qu’ils pouvaient s’accorder sur une même stratégie.
L’œil de Smartcast : alors qui a vraiment besoin de qui ? La question est complexe car sa réponse tient sur une double équation. D’un côté vous devez mesurer l’ancrage réel du sport électronique dans la société et de l’autre apprécier la qualité de production de ces nouveaux acteurs et leur capacité à répondre à la demande des communautés. Est-ce que le marché a atteint la maturité décrite dans toutes ces études marketing ? Chez SmartCast, le doute est présent. Les premiers relevés d’audiences vont dans notre sens. Oui le sport électronique possède de bonnes perspectives de croissance, oui c’est un marché d’avenir, mais pour éviter l’effet bulle, il faut savoir apprécier un phénomène à sa juste valeur.