C’est avec une semaine de retard que le député centriste Rudy Salles et le sénateur socialiste Jérôme Durain, les deux parlementaires missionnés par le Premier ministre ont pu remettre leur rapport à Axelle Lemaire. L’événement s’est déroulé au coeur du petit temple souterrain du gaming, au Meltdown, après deux mois de consultations et en présence de la Secrétaire d’Etat chargée au numérique. C’est un rapport de 70 pages qui a été remis. Une synthèse de 60 auditions avec des acteurs du milieu. Des entreprises, des associations, des organisateurs, des joueurs, des clubs, bref une bonne partie de l’éco-système français.
Alors que dit ce rapport ? D’abord, les auteurs font le point sur la compétition de jeux vidéo en France et le constat est clair. L’e-sport est un secteur qui possède de sérieux enjeux économiques, un fort potentiel de croissance mais reste très mal organisé. D’où la volonté qui se dégage dans ce rapport, et conformément à la lettre de mission de Manuel Valls, de vouloir encadrer ce secteur en proposant une législation adéquate et de permettre son développement. Aujourd’hui l’e-sport reste une activité illégale mais tolérée, car elle ne pose pas de problème à l’ordre public.
Jérôme Durain et Rudy Salles ont rédigé 11 propositions qui permettraient d’exempter les compétitions de jeux vidéo du principe général d’interdiction des loteries. Mais aussi de demander au CSA de statuer sur les conditions dans lesquelles les compétitions de jeux vidéo ne seront plus considérées comme de la publicité déguisée. Quid de la propriété intellectuelle et du droit à l’information ? Des questions essentielles posées dans le rapport. Les deux parlementaires proposent également d’établir un statut du joueur professionnel en s’inspirant du statut du sportif professionnel etc…
Ce qui a frappé au-delà du contenu du rapport, c’est l’attitude et l’état de connaissance des deux parlementaires qui semblaient plutôt bien en phase avec le sujet. Ce qui est plutôt admirable c’est non seulement de voir les pouvoirs publics se saisir du sujet du sport électronique, mais en plus de s’y prendre de la bonne manière. Plus surprenant, suite à la remise du rapport, Axelle Lemaire s’est montrée très receptive aux propositions de Rudy Salles et Jérôme Durain. Est-ce que cela signifie que l’Etat va s’engager à porter ces propositions ?
Qu’en est-il des professionnels du secteur ? Sont-ils satisfaits ? Sont-ils inquiets ? L’état d’esprit de ceux qui étaient présents à la remise du rapport est plutôt positif, même s’ils restent prudents, car l’appareil législatif est une machine complexe. Ce qui a séduit les professionnels du secteur, c’est l’attitude positif des parlementaires et de la ministre ainsi que cette impression d’avoir été entendu.
Attirer de nouveaux événements internationaux dans l’hexagone ? Est ce qu’une législation pourrait rendre la France aussi attractive que celà ? Sans extrapôler, il y a toujours aussi peu de chance de voir la saison régulière des League of Legends Championship Series débarquer en France. Mais souvenez-vous, encore cette année plusieurs joueurs de League of Legends ont eu des problèmes pour obtenir un visa leur permettant de séjourner suffisamment longtemps en Allemagne pour disputer les LCS. Avec un statut du joueur consolidé, des visas facilités pour les joueurs étrangers, la France pourrait se munir de nouveaux avantages compétitifs sur ses voisins!
Prochaine étape, l’article 42 sera disputé dans le courant du mois d’avril au Sénat. Au mois de juin, le rapport sera dans sa version finale et sera pret à être présenté à l’Assemblée Nationale en même temps que le Projet de Loi pour une République Numérique. Smartcast continue à suivre le dossier, en attendant si vous voulez lire le rapport en entier, c’est ici. Sinon voici un résumé :
Les 11 propositions issues du rapport :
Proposition n° 1 : Exempter les compétitions de jeux vidéo du principe général d’interdiction des loteries : limiter cette exemption au cas des compétitions physiques, lorsque les frais d’inscription demandés se limitent à une participation aux frais d’organisation et ne correspondent pas à des mises ; soumettre les organisateurs à des obligations déclaratives proportionnées.
Proposition n° 2 : Conditionner la participation des mineurs aux compétitions à une autorisation parentale, dûment éclairée par la classification PEGI du jeu utilisé. Conditionner également leur présence en tant que spectateur à une autorisation parentale, lorsqu’ils ne dépassent pas l’âge requis par la classification PEGI.
Proposition n° 3 : Soumettre les gains de compétition des mineurs à une obligation de consignation à la Caisse des dépôts, comme cela se pratique par exemple pour les mineurs de 16 ans exerçant dans le mannequinat, le sport ou en tant qu’acteur.
Proposition n° 4 : Permettre au CSA de délibérer pour définir les conditions dans lesquelles la diffusion d’une compétition de jeux vidéo ne constitue pas une publicité dissimulée : cette délibération devra notamment écarter le risque que la mention du jeu vidéo utilisé comme support ou l’apparition de sponsors de la compétition ou d’équipes y participant à l’écran soient qualifiées de publicités dissimulées.
Proposition n° 5 : Distinguer explicitement, par une prise de position du CSA, la classification PEGI des jeux vidéo, et la classification des images tirées des compétitions les utilisant comme support : cette distinction permettra la diffusion de compétitions de jeux vidéo ne comportant pas d’images choquantes à des horaires de plus grande écoute.
Proposition n° 6 : Autoriser la conclusion de contrats à durée déterminés spécifiques pour les e-sportifs professionnels : cela impliquera de rendre applicable par la loi le contrat prévu aux articles L. 222-2 à L. 222-6 du code du sport au cas du e-sport professionnel.
Proposition n° 7 : Mettre en place une politique de visa adaptée pour les e-sportifs professionnels : ne pas opposer le marché local de l’emploi lors du recrutement de e-sportifs étrangers, et prévoir la possibilité de délivrer de « passeports talents » aux joueurs les plus renommés souhaitant exercer depuis la France.
Proposition n° 8 : Confier à une commission spécialisée du CNOSF la mission de régulation et de développement de l’e-sport : la loi pour une république numérique pourra prévoir des délégations successives de compétences à cette commission, pour permettre à terme sa transformation en une véritable fédération délégataire.
Proposition n° 9 : Clarifier, par voie d’instruction fiscale, le statut des gains et cachets obtenu lors de la participation à des compétitions.
Proposition n° 10 : Adopter un taux réduit de TVA à 5,5 % pour les droits d’entrée des spectateurs de compétitions.
Proposition n° 11 : Préciser la fiscalité applicable aux « dons » à des entreprises : conditions d’application de la TVA et des droits de mutation à titre gratuit.