Récemment un long débat a agité la toile : faut-il dévoiler le salaire des joueurs ? C’est Jonathan Pan, CEO de l’équipe Ember qui a pris l’initiative de dévoiler le salaire de ses joueurs. A la suite de quoi, plusieurs figures ont pris la parole : des observateurs comme Thorin et Richard Lewis, des propriétaires, des managers de clubs et mêmes quelques joueurs… Des avis contrastés, pas vraiment d’unanimité et un débat qui reste ouvert. Mais alors que faut-il en penser ? SmartCast entre dans la danse et vous livre son point de vue !
Est-ce si important de connaitre les salaires ?
Oui car notre industrie a besoin de clarté. Le sport électronique se rapproche de plus en plus dans son modèle économique d’un système de ligue privée avec ses franchises comme de nombreux championnats américains. Et c’est une bonne chose ! Car avec ces mécanismes de régulation c’est le système qui offre la meilleure équité sportive et donc le meilleur spectacle.
Dans le sport traditionnel, le montant de ces franchises est déterminé en fonction d’études de marché précises. Ces études sont-elles mêmes demandées par les « commissionnaires des ligues. » Aujourd’hui le ticket d’entrée pour intégrer les Leagues of Legends Championship Series, que cela soit aux USA ou en Europe est estimé entre 800 000 et 1 200 000 dollars. Sur quoi se base-t-on quand on ne connait ni les salaires, ni le revenu des équipes, ni les audiences officielles des compétitions ?
N’oublions pas que la première source de revenu de notre secteur reste le public et le sponsoring des marques. Mais ces dernières investissent de l’argent en espérant capter l’attention des fans. Jonathan Pan a réalisé une cartographie très intéressante qui montre comment circule l’argent dans le monde la compétition de jeux vidéo.
Actuellement, personne ne joue la carte de la transparence. Le sport électronique est un milieu hyperconcurrentiel en forte croissance, et toutes les parties essaient de maximiser leurs profits. Mais attention car un manque de communication pourrait entrainer plusieurs effets néfastes : comme la formation d’un déséquilibre compétitif entre les clubs, une délocalisation de certaines franchises ou la création d’une compétition rivale. Dans le pire des scénarios nous pouvons imaginer la dérégulation d’un secteur entier. Plus concret, les joueurs qui ne possèdent toujours aucun organisme pour défendre leurs intérêts. En cas de désaccord avec leurs structures, ces derniers pourraient tout simplement décider, de refuser de jouer, de se mettre en grève. On assisterait à une situation de « lock-out » comme a pu connaître la NBA en 2011 !
A l’époque, les joueurs et les dirigeants de clubs se disputaient la répartition des revenus de la NBA : 57% pour les joueurs, 43% les propriétaires. Certains clubs connaissant des difficultés financières, les patrons voulaient augmenter leur part. Les joueurs refusant de descendre en dessous des 53%. Même si c’est une autre échelle, le dernier lock-out a coûté plus de 200 millions de dollars à la NBA sans parler des répercussions des ventes pour les produits affiliés.
L’actualité nous le montre encore, de nombreux joueurs quittent leurs structures pour des défauts de paiement, des promesses non tenues. Il est important que toutes les parties puissent s’organiser pour négocier de manière le plus équitablement possible. Et pour pouvoir négocier sa part, il faut connaître la taille du gâteau ! Notre écosystème est encore trop fragile pour pouvoir se priver de plusieurs mois de compétitions.
A défaut de posséder des mécanismes de régulations indépendants, le sport électronique doit jouer le jeu de la transparence. D’une part pour les investisseurs, les propriétaires de clubs qui pourront investir de manière raisonnable et éviter la création d’un effet bulle qui pourrait éclater. D’autre part pour les joueurs qui pourront mieux négocier leurs contrats. C’est aussi permettre à un secteur de mieux se connaître lui-même, et donc de se stabiliser et de se pérenniser. Dévoiler seulement le salaire des joueurs n’est pas une formule miracle, mais ce serait un premier pas qui obligerait les organisations à donner plus d’informations sur leurs sources de revenu. Cela permettrait éventuellement de pouvoir mieux identifier les faiblesses d’un secteur.
Est-ce si contraignant pour les clubs ?
Dans son article, Marty Strenczewilk, CEO & co-founder de l’équipe Splyce explique que dévoiler les salaires est très contraignant pour les clubs. La compétition de jeux vidéo est un secteur encore très jeune, les entreprises agissent comme des start-up et ne peuvent pas se permettre de partager des données stratégiques à des concurrents. Néanmoins, il existe une différence entre le marché de la compétition de jeux vidéo et le monde de l’entreprise : c’est que l’e-sport, ce n’est pas une course à celui qui trouvera le meilleur modèle. C’est la création d’un écosystème entier ou beaucoup d’acteurs différents doivent s’entendre pour exister et grandir ensemble.
Nous le disions, dévoiler les salaires reviendrait à divulguer d’autres informations considérer comme sensible pour un club. Pourtant est-ce vraiment un problème ? En France, la Ligue de Football Professionnel publie chaque année les comptes individuels des clubs professionnels ainsi qu’un rapport d’activité sur la situation financière du Football Professionnel. Alors oui le salaire est une donnée complexe qui dépend de beaucoup de facteurs. Mais si un club possède une ligne de management claire, il est facile de pouvoir expliquer les différences de salaires entre deux joueurs d’une même équipe. D’autres argueront qu’une équipe concurrente n’aura plus qu’à faire une proposition supérieure à celle en cours pour attirer le joueur. Mais n’est-ce pas le rôle d’une équipe de séduire le joueur sur un projet sportif, pas seulement sur un salaire ? N’est-ce pas une occasion de faire cesser le mercenariat pour assainir notre discipline ?