En s’offrant la Major League Gaming pour 46 millions de dollars, Activision réalise un pari risqué lourd de conséquences et affiche clairement son ambition. Son PDG, Robert A. Kotick l’a déclaré au New York Times : « Nous souhaitons construire l’ESPN des jeux vidéo. » Pour certains observateurs avertis, cette annonce n’est pas une surprise. Il y a quelques mois, l’éditeur annonçait le recrutement de Steven Bornstein, l’ancien PDG d’ESPN ainsi que de Mike Sepso, co-fondateur de la MLG. Les deux hommes prenant la tête d’un nouveau département e-sport. Le rachat de la MLG, principal organisateur et diffuseur de compétitions américaines, apparait alors comme l’élément déclencheur de ce vaste projet.
Pour autant, l’acquisition de MLG soulève de nombreuses questions. Ces derniers temps, la MLG n’était pas au sommet de sa forme. Elle affiche des audiences en baisse et vient de perdre sa compétition phare : le Call of Duty World Championship. Ce qui est plus difficile à comprendre, c’est que c’est ce même Activision Blizzard, l’ayant droit de la licence Call of Duty, qui décidait en fin d’année de donner les droits de sa compétition l’ESL, leader du secteur et principal concurrent de la MLG. Alors pourquoi ce rachat ?
Cela ressemble à un pari risqué pour Activision Blizzard. Mais si l’éditeur arrive à cumuler le savoir-faire des deux géants du secteur, il découvrira certainement les clés du succès. Pour autant, les choses ne sont pas si simples. Rappelez-vous, cet été, l’ESL cédait la majorité de son capital à Modern Times Group, le géant suédois de l’audiovisuel. Ces derniers ambitionnent également de créer une voire plusieurs chaînes de télévision dédiées à la compétition de jeu vidéo. L’ESL a toujours été un partenaire historique de Blizzard, et l’entente devrait bien fonctionner entre les deux partenaires. Mais aujourd’hui les cartes sont mélangées. Les enjeux financiers comme les ambitions ne sont plus les mêmes. Alors comment appréhender la cohabitation entre deux mastodontes qui possèdent chacun une vision propre ? Sera-t-elle simplement possible ?
D’autres questions restent en suspens. Notamment concernant la partie streaming. La MLG est connue pour posséder son propre player et se positionne comme un concurrent de Twitch et des autres plateformes de streaming. MLG.Tv signait même des contrats d’exclusivité avec certaines stars comme Matt « NadeShoT » Haag, le joueur de Call of Duty. Quel est l’avenir concernant les droits de diffusions des licences Activision Blizzard, pour ces joueurs encore sous contrat ? Est-ce que les choses vont rester en l’état voire se débloquer avec une exposition libre sur toutes les plateformes ? Ou alors, est-ce qu’il est possible d’assister à un total revirement. Pouvons-nous imaginer voir des joueurs, des compétitions ou carrément une licence de jeu placés sous un contrat d’exclusivités estampillé MLG ? Difficile de répondre, mais cela pourrait être un véritable séisme dans l’écosystème actuel.
Rappelons que le modèle en question : ESPN, est une chaîne thématique qui s’est construite sur un modèle payant avec notamment un système de droit d’exclusivité concernant la diffusion des compétitions majeures. La différence entre le rachat de la MLG et les autres mouvements opérés en 2015, c’est qu’Activision Blizzard est l’ayant droit de ses licences. Aujourd’hui il semble franchir une étape vers un triple rôle : éditeur – organisateur – diffuseur. Une stratégie qui pourrait se rapprocher de celle employée par RiotGames et qui inquiète certains professionnels du secteur. Fondateur de l’ESWC, Matthieu Dallon s’interroge :
« Comment une entreprise peut-elle à la fois éditer et vendre un jeu, organiser et commercialiser la compétition sur son jeu, tenir les joueurs par des CGU et être propriétaire et éditrice du média qui en diffuse les images? Y-a-t-il des lois « antitrust » qui pourraient empêcher l’écosystème e-sport de se développer de manière consanguine? »
Une situation qui nous laisse forcement avec beaucoup d’interrogations. Pouvons vraiment-nous parler de trust ? Pas sûr, le secteur du jeu vidéo est tellement vaste. Est ce qu’Activision-Blizzard conservera encore un modèle gratuit ? Est ce que nous voyons les premiers signes d’un basculement vers un modèle payant ? Est ce que les joueurs et les spectateurs suivront ? Et bien seul l’avenir nous le dira.